mercredi 29 juin 2016

L'effet aquatique de Solveig Anspach




Ce film procure un sentiment de douceur et de bonheur qui vous poursuit longtemps. On sort de la salle, presque en apesanteur, les yeux et la tête encore tout ravis de cette histoire simple qui n'est pas que jolie.
Si les amours hésitantes d'un grutier et d'une maîtresse-nageuse, sur le papier, ne possèdent pas, à priori, le profil d'un scénario à faire courir les foules, sur l'écran, il en est tout autrement. En concentrant la première partie de son récit dans une piscine comme il en existe des milliers, Solveig Anspach glisse sa caméra dans les vestiaires où déambule un personnel un poil loufoque et suit au fil de l'eau ce grand gaillard amoureux dingue de ce petit bout de femme énergique. Comme un petit garçon, touchant d'hésitation et de d'espoir, il se laisse aller à des leçons d'apprentissage de la natation un peu ridicules. L'avantage de ces cours, c'est que les corps sont assez dénudés et que fatalement les rapprochements sont inévitables. La réalisatrice n'a pas son pareil pour saisir les mouvements de cet amour naissant, en les rendant aussi gracieux qu'un doux ballet aquatique. Cette première partie est un pur bonheur, jamais mièvre car alliant avec talent approche amoureuse et douce dinguerie. Florence Loiret-Caille et Samir Guesmi forment un tandem extraordinaire, elle, petite boule de nerf qui va peu à peu s'adoucir sans s'en apercevoir et lui, à l'affût du moindre signe de tendresse de la part de celle qu'il aime à la folie. Les regarder se tourner autour, s'apprivoiser doucement grâce à une caméra d'une infinie douceur se révèle un plaisir rare et fera fondre les plus durs des spectateurs. Mais, un film romantique sans contrariété, ça n'existe pas. Le hiatus se vivra dans une deuxième partie islandaise, peut être un peu moins réussie, mais filmée avec toujours la même empathie joyeuse. La dinguerie sera aussi du voyage. Vous connaîtrez les douches naturistes des piscines islandaises chauffées à la géothermie, les machines à café récalcitrantes et un projet "Together" loufoque mais porteur d'un doux message de paix. Si la comédie redevient plus conventionnelle, les deux acteurs principaux continuent à dégager cette aura romantique et rêveuse, portant le film avec talent jusqu'à un final attendu mais ô combien magnifique. Le dernier plan, aussi beau que gracieux, aussi heureux que poignant, à la fois  message d'amour et geste d'adieu, emporte soudain ce dernier long-métrage de Solveig Anspach vers des sommets inattendus, effaçant d'un coup les légères réticences évoquées plus haut.
Cette comédie romantique, au charme inoubliable parce portée par un vrai regard de créatrice qui y pose aussi une subtile dose de féminisme et un formidable duo d'acteurs, est sans doute la meilleure raison de dire à son entourage pour éviter une invitation ennuyeuse : "Ah ! Désolé! J'ai piscine!" Et sans enfiler ni maillot orange avec palmier, ni bonnet de bain trop petit, plongez dans votre ciné le plus proche et goûtez vous aussi à cet effet aquatique, il vous donnera du bonheur pour le reste de la journée !



lundi 27 juin 2016

La forêt de quinconces de Grégoire Leprince-Ringuet


Aller voir un film dont la moitié des dialogues sont en alexandrins, pour moi, pas vraiment amateur de poésie, c'est une performance. Y prendre un certain plaisir et en sortir en ayant l'impression d'avoir vu un film assez gonflé, en plus d'être réjouissant, mérite d'être noté.
Sans être le chef d'oeuvre du mois, " La forêt de quinconces", déploie une originalité et une grâce assez étonnantes. Sur le thème rebattu du triangle amoureux, GLR ( Grégoire Leprince-Ringuet) pose une patte littéraire que l'on sent nourrie de poésie ( Paul Valéry entre autre) mais aussi de contes, de théâtre et de cinéma. Bizarrement j'ai pris un plaisir fou à écouter cette langue, ces rimes parfois pauvrettes, mais qu'importe, ces sonorités un peu désuètes, ces mots de moins en moins employés ( sortilège, chimère, ...), cette langue de tragédie apposée à une univers mi moderne, mi fantastique. Les comédiennes surtout y sont pour beaucoup, le texte sortant naturellement de leur bouche, sans emphase, ni déclamation. Et même si l'histoire est cousue de fil blanc, elle est émaillée de moments assez réussies. Ainsi, on avait connu GLR (Grégoire L....) chantant chez Christophe Honoré, on le retrouve ici, dansant, dans une scène de séduction pleine de sentiments et d'énergie. J'ai apprécié aussi les deux apparitions de Thierry Hancisse ( de la Comédie Française), formidable en clochard céleste dans deux séquences pourtant un poil trop appuyées. Le film avance ainsi de petits morceaux de bravoure en scènes plus banales, tissant un portrait de jeune homme qui se brûle les ailes auprès de deux jeunes femmes loin d'être innocentes et qui, hésitera longtemps avant de trouver la direction à donner à sa vie d'adulte. La musicalité des dialogues, ainsi que cette envie de poésie empreinte d'onirisme, permettent au film de sortir du lot de toutes ces productions naturalistes. Pour les amateurs branchés "Musique", il faut noter la double présence du groupe Feu Chatterton, tout d'abord avec son chanteur, Arthur Teboul, déclamant les paroles d'un de ses titres ainsi que de Clément Doumic qui a composé quelques morceaux de la bande originale.
Cette variation originale sur la vie complexe des jeunes passions amoureuses convaincra sans doute les spectateurs aimant les films audacieux et décalés. Bien sûr, si vous piaffez d'impatience en attendant la sortie de "Tortues Ninja 2 " ou "Camping 3", pas sûr que vous soyez comblés !


vendredi 24 juin 2016

Tout de suite maintenant de Pascal Bonitzer



Il faut que je suis masochiste pour continuer à aller voir les films de Pascal Bonitzer ! Chaque fois, j'en ressors avec un sentiment de perte de temps. Le cinéma bourgeois et bien pensant qu'il déroule inlassablement au fil des années, n'arrive toujours pas à me convaincre. Comme pour le précédent " Cherchez Hortense", il a fait appel à une pléiade d'acteurs piochée dans la jeune génération ( Vincent Lacoste et Agathe Bonitzer) ou parmi des plus aguerris ( Huppert, Bacri, Lambert Wilson, Pascal Grégory). Chacun y va de son savoir-faire. On les regarde s'agiter sans trop d'ennui mais en pensant que ce doit être fatiguant de devoir toujours faire le bougon, l'ambiguë, le chicos un poil machiavélique, la femme vaguement dérangée... ( Je suis certain que vous avez déjà remis chacun dans son rôle, comme quoi, de ce côté là, pas de surprise). L'histoire, comme d'habitude, brinquebale pas mal. Située dans le milieu de la finance, on nous assène une symbolique lourdingue ( le banian qui profite des autres plantes pour s'étendre, entre autre ) qu'avait précédé l'arrivée de Nora, jeune femme froide et déterminée ( jouée par Agathe Bonitzer qui n'a pas eu besoin de forcer son naturel) qui pénétrait dans un univers gris et glacial au bord du cliché. Vincent Lacoste erre aussi dans les couloirs, sans grande conviction. On pense s'acheminer dans un galimatias financiaro/chiant, quand soudain le film se retrouve à fêter l'anniversaire du père bougon ( oui, c'est lui, qui d'autre voulez-vous pour ce rôle ? ) de l'héroïne. La caméra se passionne soudain pour la vieille génération, qui a un passé bien moins conventionnel que prévu et bien plus fun que la jeunesse ! Le scénario, vaniteux, ne s'encombre pas de vraisemblance. Tout le monde finalement connaît tout le monde, a couché avec ...presque tout le monde autrefois. Cela embête Agathe Bonitzer qui, oh surprise, adopte une nouvelle expression : elle fronce les sourcils ! Et c'est vraiment chouette car sa libido se réveille, puisqu'au détour d'une scène elle embrasse Vincent Lacoste alors qu'elle le déteste. Puis les vieux se dépatouillent avec leurs coucheries passées pendant qu'Agathe s'essaie au sexe. Pas facile d'incarner la passion avec une mine aussi revêche ! Heureusement papa veille et lui fait enfiler un peignoir ( fermé jusqu'au menton, faut pas non plus exagérer !), signe que Vincent Lacoste va venir consommer dans son petit huit pièces. Las, une soeurette bien plus délurée va faire foirer le plan et Agathe va renfiler son imper mastic pour aller traquer les conflits d'intérêts, bien plus passionnants pour elle ...que pour nous qui n'en avons vraiment rien à faire !
Agathe Bonitzer finira-t-elle par pêcho Vincent Lacoste ?
Isabelle Huppert retrouvera-t-elle sa bouteille d'Armagnac ?
Pascal Grégory est-il l'amant de Lambert Wilson ?
Jean-Pierre Bacri partira-t-il en vacances à Nevers ?
Autant de questions que le film révélera peut être, je ne vous le dis pas, vous n'avez qu'à aller au cinéma pour le savoir ! Mais, une remarque toutefois. Ne vous l'avez ressenti, si vous en avez marre de ce cinéma bourgeois de l'entre soi qui ronronne encore et toujours, évitez " Tout de suite et maintenant", y'a rien à voir !


mercredi 22 juin 2016

Le reste de leur vie de Jean-Paul Didierlaurent



Il est des moments dans une vie où l'on a besoin de se faire du bien. Il existe mille façons d'y arriver de l'engloutissement névrotique de fraises Tagada à des activités plus physiques seul, à deux, à trois... (Je parle de sport là !). On peut aussi avoir envie de lire un de ces multiples livres légers, bourrés de beaux sentiments qui fleurissent toute l'année sur les rayons des librairies et des hypermarchés. En ce printemps assez pourri  ( depuis le temps que l'on nous annonçait un changement climatique...), l'envie de me plonger dans le deuxième roman de Jean-Paul Didierlaurent ne m'est pas venu tout de suite. Il faut dire que son entrée en littérature avec "" Le liseur du 6h27" ne m'avait pas totalement convaincu et si une lectrice fidèle du blog ( merci à elle !) ne m'avait pas offert la possibilité de me plonger dans celui-ci, jamais je n'aurai eu ce shoot de sucrerie romanesque ni connu la destinée d'Ambroise et de Manelle, prénoms gracieux et sans doute la seule grande originalité de l'ouvrage.
Ambroise est thanatopracteur. Nous le suivons au gré des différents morts à qui il redonne un semblant de vie en essayant de restituer le plus professionnellement possible les traits qu'ils arboraient  arpentant les rues de leur quartier. Bien sûr, Ambroise est jeune et beau et célibataire ( les amoureuses ont tendance à fuir quand elles apprennent son métier) et fils d'un prix Nobel de médecine. Il vit chez sa grand-mère, sorte de Mamie-Nova, en plus drôle et visiblement adepte de la vraie bonne cuisine d'antan.
Manelle, elle, est jeune et belle et célibataire et fille de ... personne de bien connu. Elle est aide-ménagère auprès de seniors auxquels elle voue un attachement variable, sa préférence allant sans doute à Samuel, ancien rescapé des camps nazis et pâtissier à la retraite mais hélas porteur d'une tumeur au cerveau.
Ceci posé, la suite est difficile à deviner à moins d'avoir lu au moins un livre dans sa vie ! Mais, il faut que je sois honnête. Comme dans "le liseur ", le roman démarre de façon sympathique. Les métiers des protagonistes, rarement exploités en littérature de gare, prennent vie sous la plume de  l'auteur qui porte sur eux une vraie justesse de  regard et toute une kyrielle de  précisions jamais ennuyeuses. Un grande empathie émane de ces portraits croisés, croqués avec chaleur.
Là où cela a commencé à se gâter pour moi, c'est quand, il a fallu que l'intrigue se noue. Sans parler des ficelles scénaristiques que l'on voit arriver comme un trois mâts sur le port de Benodet, le récit semble prendre un parti-pris militant anti-avortement et anti mort assistée. Comme je suis plutôt à l'opposé, mes dents ont grincé. N'évoquant qu'une sorte de point de vue (surtout sur l'IVG), le roman plaide pour la vie. Honorable au premier degré et sans doute plus vendeur dans un récit fourré aux bons sentiments, cette apologie bien pensante ne déviera jamais de son chemin bisounours. Avec quelques coups de théâtre tellement énormes que l'on a envie de refermer le livre, l'auteur s'ingéniera à écarter les personnages des mauvaises tentations ou à réparer les fautes commises.
"Le reste de leur vie", comme "Le liseur..." démarre plutôt pas mal pour s'enfoncer dans une bouillie très très sucrée  qui, cette fois-ci, pour ma part, m'a laissé comme un arrière goût de rance. Mais suis-je vraiment un lecteur de roman qui font du bien ? ( Je pense que oui. il m'est arrivé de prendre du plaisir aux ouvrages d'Agnès Ledig" ou de Marie-Sabine Roger...)

dimanche 19 juin 2016

La pudeur de Adèle Van Reeth et Eric Fiat


Cela peut paraître désuet de parler de pudeur de nos jours, mais ce petit livre d'entretien permet de faire le tour de la question en empruntant les chemins de l'intelligence et de la conversation courtoise. Sur ce plan là, le livre est un régal. Les deux débatteurs dont la vivacité et la culture ne peuvent que rejaillir sur le lecteur, font feu de tout bois. De Kant à Derrida, en passant par Françoise Hardy ou Platon, les références sont aussi nombreuses que variées et éclairent un propos qui n'est jamais rasoir. Les deux interlocuteurs, vraiment au diapason, s'interrogent pour définir un peu plus profondément la pudeur autrement qu'à la façon d'une définition de dictionnaire ( "Sentiment de honte, de gêne  qu'une personne éprouve à envisager d'être le témoin de choses de nature sexuelle, de la nudité. " ). Cette notion de honte est évidemment évoquée en nuançant sur le fait que quand on est pudique on a honte de rien, on peut juste avec honte à certains moments, mais surtout que la pudeur est à éloigner de la pudibonderie, trop extrême ou de la coquetterie, trop fausse. Très vite la pudeur est définie comme une vertu essentielle pour pimenter le désir amoureux  ( " La pudeur n'est pas l'obstacle du désir , mais son involontaire alliée, son levain irréfléchi."),  et les deux philosophes, après avoir convoqué Sade et Casanova, dissertent avec ardeur sur le duo Eros et Aidôs ( en gros, le sexe et la retenue). On s'attarde donc sur ce sentiment délicieux qu'est l'approche d'une personne pour tenter de la mettre à nue dans son lit, avec tous les atermoiements voulus, souhaités, désirés qui rendent la chose encore plus agréable ( en gros, le jeu de la drague mais en version intello surannée). Le livre ne fait pas l'impasse sur la puberté ( mot de la même famille que pudeur) autre moment qui apporte de la honte dans nos vies, ni sur les hospitalisations, ces parenthèses désagréables où notre pudeur est mise à mal.
Cependant, j'émettrai quelques petites réserves. Tout érudit soit-il sur la honte corporelle et même s'il fait un peu l'impasse sur l'empreinte que les éducations ou les sociétés peuvent donner au corps ( les bains publics au Japon, les hammams dans les pays musulmans où la nudité collective n'est pas du tout gênante), la pudeur des sentiments n'est guère évoquée dans le livre ( sauf un passage de Pagnol) et cela m'a un peu laissé sur ma faim, mais l'exhaustivité n'était pas le but final. 
Et puis, il y a dans cet ouvrage, un élément qui m'a à la fois fait sourire et agacé. Adèle Van Reeth et Eric Fiat sont tous les deux philosophes mais l'un tient lieu d'érudit et l'autre de passe-plat. Et devinez qui se pavane avec son savoir  ? L'homme bien sûr. C'est lui qui sait, qui énonce, qui a réfléchi. Elle acquiesce, pose les questions, dirige le débat mais fait un peu potiche. Il n'y a qu'un moment où elle s'insurge, lorsque le mâle vraiment macho ne voit dans la pudeur et la coquetterie que des éléments féminins. Le mâle philosophe, avec ironie et fausse humilité et quelques détours, renvoie la féministe de quelques instants dans ses pénates et continuera de gloser sans retenue jusqu'à la fin du livre. Et le lecteur, enfin moi surtout, a donc lu avec intérêt toute cette prose intelligente mais avec en arrière pensée que c'était quelque part les paroles d'une personne pas vraiment moderne, d'une époque où l'on faisait salon et l'on pérorait avec l'envie d'entendre glousser de plaisir son auditoire. Cela a son charme mais en 2016.... j'espérait que c'était devenu hors d'usage. 
"La pudeur" reste un livre qui éveille et titille l'esprit mais son côté un peu daté dans les idées et la pause prise par les deux débatteurs, peut éveiller chez certains une légère méfiance. 

Merci au site BABELIO et aux éditions Plon  de m'avoir fait découvrir cet ouvrage !





mercredi 15 juin 2016

tout conte fée de Lionel Camou et Bandini



Les jolis contes pour enfants ont généré de splendides pastiches, tantôt truculents, tantôt drôles ou décalés, toujours plaisants et sans cesse renouvelés. Ce one shot pour adultes ne faillit à une longue tradition d'hommage ou de source d'inspiration en touillant joyeusement les personnages célèbres des contes avec une intrigue de polar.
Nous sommes en 1915 à Paris et une belle jeune femme demande à son miroir si elle est la plus belle. La première planche pose décor et genre en quelques cases et lorsque l'on tourne la page et qu'on lit :" Bien sûr, ce con ne  répondait jamais" , le ton est donné : irrévérencieux et pour public ayant grandi. Tandis que la beauté du début verra sa vie s'enfoncer petit à petit ( pour être enterrée en milieu d'album), se révèle une intrigue se déroulant dans un immeuble où l'on a retrouvé Mr Roger Ronimo transpercé d'une flèche. Et derrière tous les portes de cet immeuble à nombreux étages, on croisera un bourreau, le Père-Noël, Jésus-Christ, Mr Wolf ( sous la forme d'un loup), le chaperon rouge, Peter Pan, .....  L'inspecteur chargé de l'enquête et son adjoint ne sauront où donner de la tête tellement l'affaire tournera à l'absurde. Trouver le coupable dans ce jeu de références, de clin d'oeil et de choses merveilleuses ou magiques deviendra un casse-tête kafkaïen ( tiens, pas de références au célèbre écrivain).
La première partie de l'album est jubilatoire. Tout s'entremêle, se chevauche, jusqu'à l'absurde. Les dialogues fusent, remplis de jeux de mots. On se fiche royalement de l'intrigue car cette déferlante de situations de plus en plus hallucinantes s'imbriquent avec tellement de virtuosité que l'on boit du petit lait. Et puis, soudain, tout part en vrille et ce, exactement, à la page 75 lorsque le personnage du bourreau dit au Père-Noël : " Vous allez vous fourvoyer dans une discussion anti-religieuse,anti-cléricale. Les lecteurs vont se lever les uns après les autres et quitter la BD." Case prémonitoire ? Avertissement au lecteur que j'ai pris au pied de la lettre ? La conversation anti-religieuse m'aurait sans doute plus amusé que la suite que prend le roman graphique. Les auteurs se sont mis en tête de donner une solution à cette intrigue improbable, lui donner du sens, et là, on s'enfonce dans une succession de pages assez lourdingues. Malgré quelques gags visuels épatants ( les personnages transformés en personnages de livres d'images), la visite des policiers au pays des contes mâtinée des propos de Bruno Bettelheim, convainc beaucoup moins, laissant une relent de déjà vu ou de  "trop c'est trop", comme si soudain cette cascade de jeux de mots, de rencontres improbables tournait à vide, seulement au service d'une conclusion tirée par les cheveux.
C'est donc un peu déçu que j'ai refermé cet album pourtant assez original dans son projet mais n'ayant, pour moi, pas tenu les promesses d'un départ fulgurant. Cependant, jetez-y un oeil , juste pour le plaisir de découvrir le sort que les auteurs réservent à la grand-mère du petit chaperon rouge... une vision réjouissante de ce personnage qui, jusqu'à présent, jouait les utilités vieillissantes...



lundi 13 juin 2016

The neon demon de Nicolas Winding Refn



La rumeur de Cannes autour du nouveau film de Nicolas Winding Refn tournait essentiellement autour de scènes de cannibalisme. Mmmm, on allait en voir donc de toutes les couleurs, surtout après le nauséeux " Only god forgives" de sinistre mémoire. Donc du gore, du sang et des néons, grande spécialité refnienne, nous attendaient vraisemblablement pour deux heures d'un nouveau casse-tête expérimental. Les années se suivent et ne se ressemblent pas, "The neon demon" est nettement plus passionnant que prévu et possède même des allures de film culte.
Tout d'abord faisons un sort aux néons qui éclairaient l'oeuvre précédente et qui ici, malgré le titre, sont absents à l'image, remplacés par les flashs des photos et la luminescence des projecteurs, plongée dans le milieu de mannequinat oblige. Reconnaissons ensuite que, contrairement au pudding précédent, le scénario est plus construit et tient la route, même s'il développe une histoire pas follement originale. En gros, nous suivons une jeune fille de 16 ans, fraîchement débarquée à Los Angeles pour s'essayer à la carrière de mannequin. Elle est jolie, fraîche, naturelle et dégage quelque chose qui va lui faire gravir très vite les étapes, non sans susciter pas mal de jalousies autour d'elle, notamment de la part de ses consoeurs ou trop vieilles ou refaites. En partant de là, le thème de la beauté semble tenir la corde pour être l'élément de réflexion principal. Seulement, le cinéaste danois déploie une ambition autre en mêlant thriller un poil fantastique et vénéneux avec une mise en scène aussi léchée qu'hypnotique et passionnante., le tout pour décrire un univers qu'il connaît bien, puisque entre deux oeuvres pour le cinéma, il réalise des spots publicitaires pour des marques de luxe.
La première partie nous décrit l'ascension de cette jeune fille dans un monde où chaque fille est inspectée comme un animal de foire. La mise en scène sophistiquée, millimétrée, des scènes d'exposition voit soudain un premier point culminant avec une séance photo dans un local blanc, où un tête à tête glacial avec un photographe inquiétant et quasi mutique devient par le jeu des regards, les crépitements des flashs tels des coups de feu, un moment franchement angoissant qui est rendu encore plus ambiguë par un petit plan final qui soudain nous fait douter de l'innocence de l'héroïne. Le film s'engage donc sur des rails vraiment subtils, jouant avec les codes du film à suspens ou fantastique mais y rajoutant une réflexion sur l'image, celle donnée, celle perçue, celle que l'on fabrique. On notera un formidable travail sur le cadrage, l'éclairage, qui sont vraiment au service de l'histoire tout en lui donnant un sens beaucoup plus profond. La jeune fille gravit les échelons de la gloire et le film prend le même chemin. Enfin elle décroche le meilleur passage d'un défilé et elle réalise que oui, elle est arrivée au sommet. Le film y est aussi ....et perd un peu les pédales. Des triangles apparaissent longuement... La scientologie a-t-elle encore frappé ( comme dans " Eyes wide shut" ? )  ? Non, je ne pense pas, ce serait plutôt le syndrome "Under the skin" qui se manifeste par des apparitions de formes ou de manipulations numériques artys. Le film prend une nouvelle direction, plus conventionnelle, à base de film d'horreur et de vengeance mais sans se départir de ses images léchées qui finissent par faire un poil trop maniéré. La jeune fille chute dans tous les sens du terme et " The neon demon"  perd un peu de sa magnificence, diluant son discours dans une orgie de belles images dont on ne perçoit pas toujours le sens.
Je suis ressorti de la salle avec la belle impression d'avoir vu une oeuvre d'art contemporaine numérique dont parfois le propos m'a échappé. et c'est sans doute cela qui rend ce film si intéressant et si intriguant. Plein comme un oeuf alors qu'il nous parle également du vide, beau comme un sou neuf alors qu'il met en évidence la laideur de l'humain, "The neon demon" est une oeuvre virtuose, peut être un peu trop sophistiquée sur la deuxième partie, mais assurément un film rare et intéressant, captivant par sa proposition de modernité qu'il nous offre.


dimanche 12 juin 2016

Psycho-pass de Natsuo Sai et Midori Gotô



Je sais ne pas être l'exacte cible des éditeurs de mangas, mais que voulez-vous, entre la curiosité et la lecture par le passé de quelques séries bien fichues ( "Monster", "Death note", ...), je me suis laissé tenter par ce premier volume de "Psycho-pass" vanté avec beaucoup d'à-propos par la maison Kana.
Bien installé, je me plonge dans une ville moderne ( pas spécifiquement japonaise ) et dans un futur proche. Et là, ça ne traîne pas. En trois planches, la situation est exposée, on ne s'encombre pas de détails. Pour permettre une vie cool et pépère, les scientifiques ont réussi à mesurer l'état mental de la population grâce à un psycho-pass qui permet au final de fliquer tout le monde. La moindre personne ayant un semblant de colère en lieu est traquée et arrêtée. Pour surveiller et intervenir une sorte de brigade spéciale existe composée de jeunes gens dynamiques.
Jusque là je suis sans problème, mais dès que va être posé l'argument principal, soudain je vais achopper dans la compréhension et devoir relire quatre fois les mêmes planches, sans être vraiment éclairé. J'ai saisi que lors d'une opération d'une veille personne, on s'était aperçu qu'un rein greffé depuis des dizaines d'années déjà, portait une marque imprimée sur ses tissus, comme une signature... Ce départ franchement singulier, inquiète énormément le directeur de cette clinique qui a peur du scandale et de l'émoi que cela peut susciter. Je ne dois pas être japonais, car franchement, à ce stade du développement humain, cela ne m'apparaît pas bien méchant, tant que l'organe fonctionne... On peut s'habiller avec des jupes improbables, pratiquer le hara kiri comme un art mais posséder un rein tatoué, non ! Alors offusquons-nous, tremblons et poursuivons. L'enquête débute sur les chapeaux de roues. Le fameux psycho-pass qui sert à tout détecter en trente secondes, désigne très vite un coupable qui est traqué, vite neutralisé et éliminé. Page 68, tout est plié !...Ah non, trop simple ! Ce n'était qu'un maillon ! Y'a un cerveau ! Traquons-le ! D'autres cadavres possèdent des reins tatoués ! Horreur ! c'est un vrai complot à grande échelle! Vite réfléchissons ( deux pages), agissons ( 10 pages), utilisons l'espèce de pistolet fourni en mode disrupteur annihilateur. Brrrsh, ! Criiii !  Dooom ! ( c'est le bruit  qui accompagne l'utilisation du fusil machin truc... que serait un manga sans ces onomatopées zébrant les pages d'action ? ) Ouais ! On la ! Oui mais après...on fait quoi ?  Ce n'est que le dernier tiers d'un premier tome, faut trouver une idée .... Une nouvelle poursuite après...je ne sais plus qui... , ça meuble ....Euréka! Un peu de cannibalisme ( mmm, c'est bon ça coco pour faire frémir les ados scarifiés et alcoolisés ) Clang ! ( C'est le bruit qui accueille la révélation de la dégustation de foies humains, de reins peut être, je suis un peu perdu). Mais en fait, celui-là est encore un maillon... Y'a plus gros ! Faut le trouver !... Mais ce sera dans le tome 2 (peut être ) ...et sans moi.
Oui sans moi, car j'avoue qu'entre un dessin faisant des personnages très anguleux pas toujours identifiables et des yeux de biches, espèce née à Tchernobyl, aux personnages féminins et une intrigue au final très prévisible, "Psycho-pass" n'a rien de passionnant. Quand en plus vous rajoutez des notes d'humour aussi tartes qu'un personnage crachant son café en arrière-plan parce que pas bien fameux ou...ou ? Ben non, rien d'autre....Vous croyez que quand on est une bande de  jeunes traquant des tatoueurs d'organe, on a le temps de faire des vannes ? Que nenni, on compulse son ordi, les bases de données et on court en criant !
Je dois avoir passer l'âge de courir après des cannibales ( Vendredi, c'était au siècle dernier) tout comme celui de me laisser emporter par des histoires, certes tirées par les cheveux, mais développées sans grande inventivité. Le quinqua fana de manga ce ne sera pas moi !


samedi 11 juin 2016

Les animaux sentimentaux de Cédric Duroux



La lecture de ce premier roman m'a fait penser au film d'Eric Rochant "Un monde sans pitié", car, comme lui à son époque, il possède tous les éléments pour en faire un parfait ouvrage générationnel, si tant est que la littérature ait encore une certaine aura sur la frange des 20/30 ans.
"Les animaux sentimentaux" pourrait n'être que le portrait vaguement branchouille d'une bande de vingtenaires un peu vains. Seulement, au travers des déambulations alcoolisées, sexualisées et musicales de Samuel, Olivier et Lily, Cédric Duroux fixe avec infiniment de finesse l'image d'une génération et d'une époque où les repères anciens se sont quasi complètement délités, explosés par la technologie et une sexualité affranchie de pas mal de diktats sociaux.
Que ce soit pour Samuel, seul face à ses désirs qu'il décident d'assumer totalement avec cette lettre à ses parents annonçant son homosexualité ou pour Olivier, dont on ne sait si les  TOC et les phobies qui pourrissent sa vie sont la résultante ou la conséquence de sa sexualité virtuelle sur Skype, la vie contemporaine, avec ses nombreuses connexions possibles, semble les porter vers une certaine solitude. La famille, matricielle, sans doute nid de névroses, n'est plus pour eux  qu'un lointain conglomérat de gens que l'on repousse ou que l'on s'impose. Celle, un peu moins conventionnelle qu'ils essaient de recréer avec les quelques amis rencontrés, aussi fraternelle soit-elle, les condamne quand même à affronter l'isolement. Même Lily, plus solaire, aux apparences plus sociables, intelligente et ouverte, doit faire face, seule, à une grossesse totalement accidentelle, dont le responsable la renvoie à une rude réalité. Ils sont la parfaite incarnation de notre monde paradoxal actuel, monde où la vitesse de la communication, la facilité des contacts virtuels puis ( ou ) sexuels ne peuvent empêcher l'affranchissement de la solitude.
"Les animaux sentimentaux" décrit donc ce monde apparemment superficiel, où se débattent de jeunes adultes parasités par un mal de vivre finalement constant à toutes les générations. Bien que décrivant des situations mille fois lues ailleurs, Cédric Duroux réussit la prouesse de toucher son lecteur, sans doute par la justesse de son point de vue, mais surtout par une écriture qui, mine de rien, met à jour les sentiments de ses personnages. J'ai été impressionné comment, à base de dialogues assez  plats en anglais (!) via Skype, il parvient à nous faire ressentir cette addiction, cet amour aussi rapide que virtuel d'Olivier pour un inconnu dont il ne visualise que le regard. Et à d'autres moments, de façon plus classique, comment il nous fait ressentir la peur panique qui grandit dans l'attente du résultat d'un test VIH ou l'angoisse de la réaction des parents de Samuel face à son coming out.
Bien sûr le roman, au ton très actuel, est bourré de références  aussi bien musicales ( très important la musique, elle est une compagnie essentielle dans notre solitude urbaine) que BD . J'avoue que le personnage d'Anthony, ami imaginaire de Samuel, m'a pas mal fait penser ( à tort ? ) au tigre Hobbes de Calvin et Hobbes mais aussi à Ryuk du manga "Death note", parachevant ainsi ce sentiment de solitude qui baigne le roman, tout en lui donnant un côté légèrement fantasque et drôle.
Je vous engage donc à vous intéresser à ce premier roman très prometteur. Vous y ferez la même plongée que ses personnages lorsqu'ils se retrouvent au "Slide", boîte de nuit avec bar, spectacle et back room mixte ou pas, mais aussi élément central et fédérateur du livre. Le lieu, comme le roman, est incertain, mais littéraire, foisonnant, cru. L'amitié s'y trouve mais aussi l'animalité qui sommeille en chacun de nous, le désir de plaisir qui nous fait avancer et supporter un monde toujours plus mouvant.
 Et comme la modernité est de mise dans ce livre, "Les animaux sentimentaux" est accompagné, pour sa promotion, d'un clip aussi bien musical que cinématographique, qui peut vous donner une idée de ce qui vous attend...


mercredi 8 juin 2016

Folles de joie de Paolo Virzi


Il suffit de deux filles roulant dans une décapotable sous un soleil, ici italien, pour que tout de suite on nous ressorte "Thelma et Louise". Si on peut y voir un léger clin d'oeil, "Folle de joie" n'emprunte pas le créneau féministe de son ancêtre américain, troquant sa violence ambiante contre un road-movie déjanté tirant sur le mélo lacrymal.
Béatrice est un bourgeoise frappadingue, imposant sa folle tyrannie aux pensionnaires d'un centre psychiatrique situé dans une grande maison de maître. Lorsqu'arrive Donatella, aussi brune que l'autre est blonde, aussi introvertie que l'autre est exubérante, la rencontre se transforme en une sorte d'amitié qui tient plus de la béquille que du coup de foudre. Néanmoins, elles vont fuguer, surtout grâce à l'énergie délirante de Béatrice et décider de retrouver l'amant de l'une et l'enfant de l'autre. Le film va les suivre dans diverses péripéties à la fois drôlatiques et pleines d'énergie.
D'une situation bien écrite, bien dialoguée, nous assistons à un véritable numéro d'actrice. Valéria Bruni-Tedeschi est absolument exceptionnelle dans son personnage de mythomane extravertie, enflammant l'écran comme rarement, emportant tout dans un tourbillon de folie. Aussi impériale dans la démence que dans la colère voire le pathétique, elle donne au film un rythme fou et jubilatoire. Face à elle, Micaela Ramazotti, dans un rôle plus ingrat, arrive à exister car le film a l'intelligence de jouer aussi dans la subtilité. Sans pathos, il questionne sur le sens que la vie peut prendre quand tout semble contre soi, quand la société décide de condamner avec un enfermement sous neuroleptiques. quand un lourd passé empêche un quelconque avenir. Même si la dernière partie, avec son revirement mélodramatique un poil gnangnan, peut paraître un peu facile, il amène une conclusion plutôt sympathique et intéressante qui, mine de rien, emporte le film dans une zone insoupçonnée ( en gros, un sujet du bac philo : l'enfermement pour rendre libre).
Pour revenir à la légèreté, ce qu'est "Folles de joie " dans pas mal de moments, on pourra noter la présence de  Marisa Borini, cantonnée encore une fois dans le rôle (pas de composition) de la mère de Valeria, ce qu'elle est dans la vie, mais aussi celle d'Anna Galiena, l'inoubliable coiffeuse du film de Patrice Leconte. Mais pour le spectateur un peu nostalgique de la comédie à l'italienne mordante et sociale, "Folles de joies" est sans aucun doute le film actuel qui s'en rapproche le plus, drôle et impertinent, extravagant et profond.



samedi 4 juin 2016

Mercredi de Juan Berri


Ce roman graphique ne possède pas de phrase en épigraphe ( seulement un gag surréaliste) mais une que l'on trouve tout à la fin de l'ouvrage, en petit caractère, juste sous le nom de l'imprimeur. ( Du coup, je ne sais comment cela s'appelle.). Elle résume pourtant parfaitement ce petit bijou espagnol : " Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts. "  (Isaac Newton) .
Si vous ouvrez "Mercredi" de Juan Berri et le feuilletez rapidement, vous verrez une succession de planches de quatre vignettes dans des tons rouges orangers mélancoliques et avec des personnages rappelant ceux de la série française Lili. Un côté un poil suranné se dégage donc. La lecture confirmera cette ambiance mais s'inscrira parfaitement dans le projet de l'album : la représentation d'un monde un peu hors du temps, toile de fond d'une variation empreinte de surréalisme autour de l'incommunicabilité au 21 ème siècle.
Mercredi est un joyeux hommage au cinéma d'un compatriote de l'auteur, j'ai nommé Luis Bunuel, dont Juan Berri reprend le procédé de son film "Le fantôme de la liberté ". Situé sur une seule journée, un mercredi donc, nous allons déambuler dans une petite ville ordinaire, suivre un personnage qui en croisera un autre que l'on suivra désormais jusqu'à ce que lui-même rencontre quelqu'un , auquel l'auteur s'attachera dorénavant. Et ainsi de suite, les personnages au gré de leur promenades et des différentes péripéties, réapparaîtront par moments, le tout formant une histoire autour du vol d'un sac à dos. Cette narration assez complexe dans un récit aux apparences simplistes, diffuse un parfum à la fois réjouissant et mélancolique. En plus de poser un regard vraiment empathique sur ces citadins tout droit sortis d'un univers calme et tranquille, l'auteur arrive en filigrane, avec une grande tendresse, à nous faire ressentir que malgré tous ces chassés-croisés, la solitude est le commun dénominateur à tous ces êtres, même si vivant en couple ou paraissant avoir une vie sociale normale.
Malgré la simplicité de la mise en page comme du dessin, il se cache pourtant de subtils petits détails, glissés subrepticement dans les cases, que l'on remarque à peine ou parfois pas, mais qui apportent cette chose indéfinissable qu'est le charme. Oui, " Mercredi" ne m'a pas seulement charmé, mais intrigué, réjoui, passionné. Juan Berri réussit à créer un univers simple dans sa complexité, mais surtout infiniment attachant. C'est le miroir à peine déformé de nos petites vies qui est ici mis à nu, cette course effrénée à l'image ou à la rencontre impossible, où la solitude tient lieu de compagnie.
Pour moi, une petite merveille de sensibilité à l'humour tendre, un roman graphique assez unique dans son genre et donc précieux.



jeudi 2 juin 2016

Où est l'étoile de mer ? de Barroux


Promenade au bord de l'eau.
Jean-Fulbert termine sa gourde de compote bio et la jette sans façon à la rivière.
- Mais enfin Jean-Fu, que fais-tu ?!!! On ne doit rien jeter dans l'eau. Regarde autour de toi, les poubelles sont faites pour cela !
- Ben, c'est pas grav' !! On la voit ma plus ma truc ! L'eau est toute belle encore !
- Mais malheureux, as-tu pensé aux petits poissons qui doivent passer leur temps à éviter toutes sortes de saletés ?
- Ils jouent pas avec ?
- Bon Jean- Fu, nous filons à la maison et je t'explique.

Ce parent averti possède dans sa bibliothèque "Où est l'étoile de mer ? " de Barroux, un album sans texte mais avec beaucoup de choses à comprendre et à observer. Il est grand temps de le sortir et de le feuilleter avec sa descendance si l'on veut que la vie sur terre et dans la mer puisse continuer.
Si le titre évoque une célèbre série avec un personnage à lunettes et à pull rayé, les pages dans lesquelles l'enfant recherchera une étoile de mer ( mais aussi une méduse et un poisson-clown) ne restent pas seulement ludiques mais racontent en arrière-plan une vraie histoire sur le thème de la pollution marine.
L'album s'ouvre, ô merveille, avec une magnifique baleine sur une double page. Bien que représentée en beige, elle en impose au jeune lecteur ! L'envie de poursuivre n'en est que plus forte. La suite est une invitation à retrouver quelques animaux marins qui s'enchaîne avec une page éclatante de poissons multicolores. Nous plongeons d'emblée dans un univers enchanteur qui, petit à petit va se trouver de plus en plus encombré d'objets divers et avariés. Et plus les immondices s'amoncellent, plus les poissons se font rares. Heureusement, notre amie la baleine trouvera une solution aussi radicale que définitive pour le plaisir de tous les habitants de l'océan. Ceux de la planète Terre devront dorénavant réfléchir à deux fois avant de jeter à l'eau les écrans plats ou ordinateurs que leur société rend obsolètes.
Petit conte écologique, sans texte mais à fort potentiel de paroles et de questionnements, " Où est l'étoile de mer ?" est sans doute le premier album pour jeunes lecteurs ( à partir de 3 ans) où l'on pourrait apposer " Recommandé par la COP 21". A bien y réfléchir, je me demande s'il ne serait pas plus persuasif pour l'avenir de notre planète que bien des réunions si médiatiques mais aux effets bien limités !


mercredi 1 juin 2016

Bart is back de Soledad Bravi


Soledad Bravi adore les chats ! Si, si, malgré le départ assez gore de son album, on sent que les félins embellissent sa vie. Ok, pas tout de suite, parce que faire dire à Bart, son matou de héros, dès les premières pages  : " Bart en a marre de toutes ces conneries de chat : les caresses, les graines qui puent, les pâtés dégueu, la castration, dormir comme un con les 3/4 de la journée, près d'un radiateur,..." relève soit de l'observation perfide mais franche, soit d'un début de révolte pour redonner à ces animaux leur vraie place dans un monde de mémères énamourées. Avec cette citation, vous pouvez vous faire une idée du ton de cet album. Quand j'aurai rajouté que Bart meurt à la troisième page pour ensuite vivre sa deuxième vie en chat zombie bouffeur d'humains et rêvant d'être chanteur, vous pensez d'ors et déjà que ce sera inutile d'offrir cet album à votre soeur qui collectionne les calendriers du facteur,... ceux avec les chatons... Certes l'univers sans concession de Soledad Bravi doublé d'un dessin simplissime, pas du tout dans la surenchère "je croque ce minou si choupinou, je craque, il est trop chou", peut s'envisager ainsi mais Bart, je vous le rappelle, a neuf vies, comme tout bon chat s'il respecte la légende et le lecteur n'est pas au bout de ses surprises. Sans se départir de son humour noir, l'auteure fait voyager son chat en Asie, continent qui n'use pas du parcours lumineux pour chat d'appartement ( bien que fabriqué chez eux) mais plutôt les mille et unes façons d'accommoder l'animal pour le déjeuner. Comme dans un jeu vidéo, Bart brûlera des vies en tentant d'échapper aux nombreux pièges qui le guettent, aux trafics en tout genre...
Cette succession de morts violentes, dresse un portrait sans fard du chat dans le monde et amène une grande compassion. Alors que je commençais à regarder Edouard ( oui, j'ai un chat qui dort près du radiateur ) avec un regard de propriétaire exploité par un perfide animal à quatre pattes, le récit prend soudain un tour proche du manifeste pour la survie de l'espèce féline. Sans jamais se départir de son humour corrosif, Soledad Bravi arrive presque à nous faire pleurer sur la dure condition des félins dans une certaine partie du monde ( ce grossissement du trait peut faire tiquer quelques uns ...) et l'album humoristique devient aussi plaquette pour WWF for cats.
Aussi drôle que déjanté, mêlant dérision et grand amour des chats,"Bart is back" de  Soledad Bravi s'empare de son minou à bras le corps pour nous faire part de toutes ses subtiles observations de la race féline. Après nous avoir sérieusement malmené, par la grâce d'une jolie pirouette finale, elle retombe sur ses deux pattes et redonne du baume au coeur à nous propriétaire de chats ! Ce soir, mon petit Edouard, tu auras droit à une pâtée spéciale chat de luxe, tu l'as bien mérité mon boubou tout doux...